Ma maison bio
— Le Soleil

Bois, chanvre, paille… voire même champignons! Les matériaux de construction d’origine végétale se diversifient et occupent une part de marché croissante dans l’industrie. Si certains en sont encore au stade de la recherche, l’intérêt qu’ils suscitent est manifeste.
«Le bois, c’est le matériau biosourcé par excellence au Québec, ça représente plus de 90 % de ce type de matériaux en construction», signale Pierre Blanchet, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval et titulaire de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB).
Précisons-le d’emblée, ce qu’on entend par «matériaux biosourcés», ce sont des matériaux issus du vivant, en tout ou en partie, d’origine végétale ou animale.
«La tendance vient beaucoup des architectes, pour des grands projets principalement non résidentiels. [L’intégration de matériaux biosourcés] a été amorcée avec la certification LEED, qui a permis une plus grande utilisation du bois et de ses composites dans l’enveloppe du bâtiment», explique M. Blanchet. «Il y a beaucoup de développement industriel et de recherche qui se fait sur les isolants», ajoute-t-il.
L’intérêt des matériaux biosourcés réside dans leur empreinte écologique plus faible que ceux issus du pétrole, notamment. «L’impact environnemental dépend toujours de ce à quoi on se compare. Mais l’analyse du cycle de vie des matériaux démontre qu’il y a un gain par rapport à ceux à base fossile, puisque l’extraction de la ressource [pétrole] demande beaucoup d’énergie», soulève le chercheur.
Au CIRCERB, M. Blanchet travaille entre autres sur la fabrication d’un isolant rigide à partir de filaments de cellulose (issu du recyclage de journaux) et de glycérol (un coproduit de la fabrication de biodiesel). Les fibres de cellulose sont également utilisées pour concevoir une membrane pare-intempéries en étant mélangées à des «résines obtenues par chimie verte». Cette membrane pourrait par exemple remplacer celle de type Tyvek (un matériau synthétique issu de la pétrochimie).
«L’objectif est de travailler dans l’esprit de l’économie circulaire, en utilisant les résidus du bois. Notre société est pensée pour des trucs carrés, mais un tronc, c’est rond!» s’exclame le chercheur, précisant que l’industrie génère de 30 % à 40 % de «coproduit» qui peut ainsi être récupéré.
Paille et champignons
Outre le bois, la recherche se penche sur l’intégration de la paille en construction. «C’est encore utilisé, mais c’est marginal, il y a une pente à remonter. Il y a eu des histoires d’horreur au Québec dans les années 70» qui ont marqué les esprits, confie Pierre Blanchet.
«Pourriture, vermine… la paille a mauvaise réputation. Il faut avoir foi» pour travailler avec ce matériau, indique Normand Hudon, architecte senior chez Coarchitecture. Ce dernier planche d’ailleurs sur un bâtiment expérimental intégrant la paille.
«La paille offre une très haute résistance thermique, à peu de frais», mentionne M. Hudon, qui voit la possibilité de concevoir un bâtiment autonome en énergie, voire même «carbone négatif».
L’architecte signale aussi l’abondance de la ressource au Québec. Toutefois, «comme la tige n’est pas comestible, elle n’est pas valorisée»… d’où l’intérêt de l’intégrer en construction.
Parmi les produits novateurs qui sont développés ailleurs, Pierre Blanchet signale le MycoBoard — des panneaux de contreplaqué en bois et mycélium (ou «blanc de champignons») conçus aux États-Unis. Le mycélium remplace ainsi l’adhésif synthétique utilisé dans les panneaux qu’on trouve sur le marché. «Un matériau qui pourrait apparaître dans le futur [chez nous], au même titre que la paille.»
Engouement pour le chanvre
Si l’utilisation du chanvre en construction est assez répandue en Europe, notamment en France et en Belgique, elle demeure encore méconnue au Québec, indique Félix Ladouceur, de Nature Fibres.
L’entreprise d’Asbestos, qui existe depuis «même pas deux ans», produit des panneaux isolants en chanvre destinés principalement au marché résidentiel.
«On a vu une belle augmentation de la demande. Au début, on faisait de la vente directe aux entrepreneurs, mais maintenant on fait affaire avec des distributeurs», signale M. Ladouceur, responsable du développement des affaires chez Nature Fibres. «On est en pourparlers avec de grandes bannières pour être dans les quincailleries, mais je ne peux en dire plus pour l’instant.»
Visant un gros volume de production, Nature Fibres fait venir une grande part de sa matière première de France. «La culture de chanvre n’est pas assez développée au Québec. On aurait besoin de centaines et de centaines d’hectares juste pour nous, alors qu’il se produisait environ 2000 hectares de chanvre dans la province en 2016», illustre M. Ladouceur.
Les panneaux isolants conçus par l’entreprise sont plus chers que les principaux produits sur le marché, soit la laine de verre ou la laine de roche, mais moins chers que le polystyrène expansé. Mais en plus de leur résistance thermique, les panneaux en chanvre procurent une bonne isolation acoustique et contrôlent l’humidité : «ils peuvent absorber jusqu’à 20 % de leur poids en eau et, en temps très sec, expulser l’humidité», explique Félix Ladouceur.
Maisons préfabriquées
Chez Gabriel Construction Chanvre et Artcan, à Shefford en Montérégie, on utilise un procédé différent pour construire des maisons avec ce matériau végétal. «C’est un mélange de chanvre et de chaux qu’on pose avec un coffrage en bois pour construire des murs pleins», indique Gabriel Gauthier, qui a appris la technique en France à la fin des années 90.
Ces murs ont ainsi un fini très naturel, à l’apparence artisanale. «La plupart des gens aiment cela tel quel, mais c’est possible d’y ajouter une peinture naturelle si on veut.»
Celui qui compte une centaine de réalisations à son actif (incluant les rénovations) en quelque 20 ans offre depuis à peine un an des modèles de maisons préfabriqués «à prix relativement compétitif». «C’est un produit de niche, mais cette niche s’agrandit. Il y a de plus en plus de gens intéressés depuis qu’on offre du préfabriqué», remarque M. Gauthier.
Ses maisons en chanvre sont construites sur une ossature en bois, le toit est généralement métallique (parfois en bardeaux de bois) et la majorité n’ont pas de sous-sol en béton. «Le principal avantage, c’est le confort», signale l’entrepreneur spécialisé. Raphaëlle Plante